C’est la première fois que je vais accomplir le pèlerinage ludique qu’est aller à Essen, vivre enfin cette immersion dans le temple du jeu, cet immense Messe, dans lequel des fans du monde entier vont se rendre pendant 4 jours afin de célébrer un loisir commun.
C’est une délégation riche de vingt ludochons qui se rend cette année en Allemagne. Certains prendront la voiture (Antonio, Pauline, Raphaël, Pascal, Elsa, Cécile, Wilfried, Magali, Vincent G), d’autres le train (Sylvain, Maxence, Thierry, Sylvain), ou bien l’avion (Suzel, Cyrille, Yoann, Céline, Michael, Vincent C, Camille) avec un critère pris en compte par tous : comment rapporter chez soi le plus de jeux possible ? C’est donc les valises vides que j’arrive mercredi soir à l’aéroport de Düsseldorf, la romantique.
Les gens
Essen, c’est d’abord beaucoup de monde. Le lieu a beau être immense, on mesure très vite à quel point il faudra une certaine endurance pour passer quatre jours au milieu de cette foule. On réalise tout aussi rapidement qu’il faudra se battre pour obtenir une place à certaines tables de jeu. Ah c’est sûr, si on veut jouer à Pigeon Explosion (ce que j’ai fait, oui), pas besoin de jouer des coudes. Mais pour certaines tables, mieux vaut se pointer dès l’ouverture à 10h, et en courant, ou bien s’inscrire sur un planning proposé par certains éditeurs. Mais même pour s’inscrire sur ce planning, il faut faire la queue. Bref, il faut s’imprégner d’une bonne dose de flegme germanique pour profiter pleinement du salon.

Là, devant, l'agent de sécurité c'est Pascal !
« Je viens de croiser Stefan Feld », me susurre Antonio à l’oreille, au détour d’une allée. « Hein ? Sérieux ? Où ça ? Tu lui as fait coucou ? ». Je suis comme un gosse. Oui, Essen, ce sont aussi des stars. Bon, des stars du monde ludique, certes, mais ça compte quand même. Pour mieux s’en rendre compte, il faut imaginer un fan de foot qui se rendrait à une cérémonie du ballon d’or, ou je ne sais pas, un fan de politique à un conseil des ministres.

Un exemple ? Rencontre au sommet (les noms sont écrits dessus !)
De très nombreux jeux peuvent se faire dédicacer dès leur achat tellement cela fourmille d’auteurs et d’illustrateurs, et même si je ne cours pas après les boîtes dédicacées, cela donne le sentiment d’assister à un événement, de faire partie de quelque chose d’important. Cela galvanise, fait oublier la fatigue, et donne envie de profiter de ces quatre jours, au maximum.

La "photo t-shirts" de M. Meeple.... au cadrage perfectible !
Enfin et surtout, les gens, ce sont aussi les ludochons. C’était ma première virée ludochonne, pas encore de Cannes ou de Valmeinier à mon actif, donc l’expérience était multiple ! Et que dire si ce n’est un grand merci à cette équipe de joueurs qui m’a fait sentir pendant 4 jours comme si on avait élevé des cochons ensemble, ou comme si j’avais passé chaque Essen en leur compagnie. Personne n’a, à ma connaissance, essayé de me semer. On a bien tenté de m’empoisonner avec des curry würst, mais il paraît que c’est une tradition locale, rien de véritablement malveillant donc.
Le tournoi
Tous les ans dans le cadre du salon a lieu un tournoi, les Europe Masters, que l’on pourrait qualifier un poil pompeusement de championnat d’Europe des jeux de sociétés. Des équipes venues de toute l’Europe, passées pour la grande majorité par des épreuves de qualification dans leur pays, se retrouvent lors d’une journée, le samedi, pour en découdre sur quatre jeux sélectionnés 6 mois plus tôt.

Les meilleurs joueurs d'Europe....

... et nous ! (Question du pigiste : la boite c'est un message cachée ?)
C’est ainsi que, dans l’anonymat le plus total du reste des visiteurs du salon, se sont réunis les meilleurs joueurs de jeux de sociétés de toute l’Europe, ainsi que quatre Ludochons (Michael, Raphaël, Vincent, Yoan). Oui, parce que quand les allemands m’expliquaient comment ils avaient âprement obtenus leur précieux sésame pour le tournoi, je répondais péniblement « hum… me ? Well, I am here because I know Vincent… You know Vincent, from the ludochons ? ». Et oui, l’ancienneté dans le monde du jeu, ça sert.
Je ne vais pas me lancer dans un compte rendu détaillé du tournoi, mais simplement dire que nous avons fait honneur à notre statut d’absolument pas favoris, avec une 27ème place sur 37 équipes. Je ne peux passer sous silence la victoire de prestige de Michael, qui remportera une partie d’anthologie de son jeu préféré, 7 empires, au nez et à la barbe d’un finlandais talentueux. Et enfin préciser que Vincent a porté l’équipe à bout de bras, gagnant la moitié de ses parties, prouvant que la jeunesse et la fougue ne sont peu de choses face à l’expérience et la roublardise.
Les jeux
À Essen, on y va avant tout pour jouer ! J’ai pu pendant 3 jours essayer 21 jeux. Comme je ne sais pas trier, passage en revue exhaustive.
1er jour
Le premier jeu que j’ai essayé sur le salon était Fourmis (Cranio). Le graphisme m’a tout de suite plu, on a affaire au même illustrateur talentueux que pour Rats, de Luciani. Un spécialiste des dessins d’animaux, donc. L’expérience de jeu a été totalement gâché par une explication de règles bien confuse, et nous avons péniblement effectué quelques tours, le nez dans le livret de règles, arrivant à la conclusion commune que le jeu avait très certainement du potentiel, mais que dans ces conditions, autant arrêter. Mince, ça commence mal. Heureusement, ce fut de loin la plus mauvaise expérience d’explication du séjour.

Un duel au sommet....

... Et des jeux pour tous !
J’ai pu ensuite essayer Sanctuary (Super Meeple), ça fait du bien de retrouver les sensations d’un Ark Nova, installé et expliqué en 15 min, et joué en 1h !
Je joue ensuite à San Francisco 1906 (Looping Games), très sympa, thème toujours très présent, et plaisant, dans les jeux de cette collection.
Bonne surprise ensuite que Quorum (Devir), un jeu malin, avec un multi-scoring qui fait un peu mal au crâne, mais il y a de l’interaction, des coups fourrés. C’est peut-être un peu trop chaotique pour moi, mais j’ai apprécié la partie.
J’ai également pu essayer Les Derniers Droïdes (Blue Cocker), j’en entends parler depuis longtemps, alors allons-y. Et bien, plutôt déçu. C’est de la gestion de ressources, la mécanique est ultra classique, et si ce n’est le sympathique mode 2 contre 2, je trouve que le jeu n’apporte pas grand-chose.

Ark nova light... Mais où est Suzel ?

''
Tremblement de terre à San Francisco !''
2ème jour
Les ludochons arrivés plus tôt sur le salon ont pu nous garder une place sur Thebai (Intrafin). Du gros jeu, comme on dit. Pour ce genre de jeu, à Essen, on effectue environ un cinquième du jeu, avant de devoir laisser notre place. Cela signifie environ 30 min d’explication, 30 min de partie, et hop on va voir ailleurs. J’appréhendais un peu cela, j’aime bien savoir quelle semble être la stratégie gagnante, pouvoir juger le tempo d’un jeu, mais finalement cela est suffisant pour savoir si le jeu a des chances de nous plaire, si on a envie, plus tard, d’en refaire une partie. Pour Thebai c’est le cas, le jeu m’a semblé touffu à souhait, avec plein de bonnes idées !
Ensuite, c’est le drame : le jeu mauvais. Il fallait bien que cela arrive, vu le nombre de jeux essayés. On se lance sur Theocratia (Mojito Studios), parce que « oh, il est beau le plateau ! », et malgré une explication plutôt claire, Raphaël et moi passons à côté de la partie. Il en va de-même pour nos partenaires de jeu italiens. On arrête au bout d’une manche, mais par choix cette fois-ci.


Essen ce n'est pas que des jeux !
Viens ensuite une belle série de jeux, à deux c’est beaucoup plus simple de trouver une table ! On essaye Emblèmes (Savana) qui emprunte à Courtisans et Oriflammes, c’est chouette mais ne semble rien apporter de vraiment nouveau. Tag Team (Scorpion Masqué), jeu de deckbuilding pour 2 joueurs, un affrontement nerveux et rythmé, rapide, pour lequel je suis frustré de ne pas adhérer plus que ça. La part de bluff me semble trop importante par rapport à l’aspect tactique.
Les jardins suspendus (Gigamic) me plaisent beaucoup, j’adore ces jeux familiaux, expliqués en 10 min, mais pour lesquels chaque tour présente un vrai choix, pour qui a envie de se prendre un minimum, ou même un maximum, la tête (ce qui me correspond tout à fait). Allez hop, dans le sac. Ensuite c’est Viva Catrina (Flying Games), même constat, et même conséquence (hop, dans le sac). Je reste plus réservé pour Codo berlin 63 (Sorry we are french), un jeu pour mythomane. On ment dès le tour 1 et on ne s’arrête plus, ou pas en fait, une chance sur deux, non, j’aime le bluff mais là c’est trop.
!!
On s’installe ensuite pour 1ers contacts (Explor8), coup de chance, le jeu est en tête du classement fairplay (le classement des jeux qui plaisent le plus, d’après les votants, même si la pertinence de ce classement est à questionner). C’est un jeu de traque, et j’adore les jeux de traque (Whitehall, Scotland Yard…). À ne pas confondre avec les jeux de déduction, comme Cryptide.
Si les genres sont voisins et ont comme point commun de faire griller quelques neurones, on a affaire ici à un jeu coopératif sauf pour un, seul contre tous donc. Ici c’est un joueur qui aura le rôle d’un alien, tombé sur Terre par mégarde, fichue erreur de trajectoire, et qui va devoir trouver un moyen de se carapater avant que les soldats (les autres joueurs) le capturent afin d’éviter que la population ne panique. Le thème est plaisant, la partie agréable, mais cela me semble trop déséquilibré. On n’a pas compris comment l’alien pouvait s’en sortir, et effectivement, il ne s’en est absolument pas sorti. Même constat après une deuxième partie le soir à l’hôtel. Il existe plusieurs scénarios possibles, des soldats avec des capacités diverses, donc à voir. Mais au final, cela m’aura surtout donné envie de ressortir Whitehall.
On termine la journée avec The Fog (Deluxe Edition), c’est un jeu de bousculade générale, chaque joueurs doit réussir à faire s’évader d’une île le plus possible de ses personnages, en les jetant dans des barques de fortunes, avant qu’ils ne soient rattrapés par un brouillard mortel (si leur mort en soi n’est pas si douloureuse, celle-ci est associée à une perte de points de victoire beaucoup plus problématique). On se faufile, on se saute par-dessus, on se pousse, c’est bordélique mais souvent malin, malgré tout. C’est difficile d’avoir une opinion non biaisée sur ce jeu, tant mes partenaires de jeux n’ont, eux, pas aimé. C’est un peu comme regarder un film à côté d’une personne qui soupire toutes les 3 min à côté de vous, cela a beau être un chef d’œuvre, l’expérience aura un goût… bizarre. Je pense pouvoir malgré tout pouvoir affirmer que The Fog n’est pas un chef d’œuvre, mais si l’occasion se présente, j’y rejouerais volontiers.
3ème jour
Ça y’est, c’est le dernier jour ! Au petit déjeuner, c’est le moment de faire la liste des jeux que l’on veut essayer, et une prise de conscience s’impose : non, on ne pourra pas jouer à tout. Oui, c’est frustrant. Mais finalement, c’est aussi ça qui fait le sel de ce genre de salon. On essaye qu’une fraction de ce qui nous plairait, on passe beaucoup de temps à regarder des stands avec envie, sans pouvoir s’asseoir, et au final cela encourage à dialoguer avec les autres joueurs, on partage nos impressions, « vous avez essayé quoi, vous ? ». Le bouche à oreilles intra-ludochons fonctionne à merveille.
On s’installe dès le matin pour jouer à Tianxia (Pixie Games), un jeu de Daniele Tascini, l’auteur des jeux en T (Teotihuacan, Tzol’kin…). Encore un gros jeu, et il me semble encore plus prometteur que Thebai. Peut-être le thème, ou plutôt la région géographique, l’Asie, qui me parle davantage. En tout cas il me semble avoir plein de bonnes idées, avec une interaction assez forte, notamment une mécanique de défense semi-coopérative qui me rappelle Iki et sa lutte contre les incendies. J’aimerais beaucoup en faire une partie entière !
On a ensuite un peu de temps avec d’aller s’asseoir à une table de Emberheart que nous avons réservé pour 13h, et on trouve une table de La Bohème (Iello), un jeu deckbuilding au thème très présent, au graphisme magnifique, qui nous charmera, que dis-je, nous envoutera complétement. Si la mécanique n’est pas tellement novatrice, l’emballage est parfait, et on retrouve l’aspect course d’un dominion : le premier qui obtient telle nombre de telles cartes gagne la partie. C’est agréable, parfois, de ne pas avoir à compter des points de victoire.
On va donc essayer Emberheart (Mindclash), le jeu est sorti en français sous le nom de Dragonniers (Super Meeple), mais Emberheart, c’est tellement plus classe. L’explication des règles est d’une fluidité rare, et le jeu séduit. On attend de voir sur une partie entière, mais ce jeu de sauvetage de dragons, mélangeant pose d’ouvriers et enchères est très prometteur.

Des ludochons à Thébai.
Essen c’est presque fini, on décide de passer un moment dans le hall avec les jeux familiaux, au milieu de gens un peu moins poilus, pour s’aérer un peu la tête et ramener des cadeaux à la maison. On essaye au passage Pergola (Rebel Studio), qui manque de piment, mais peut-être qu’après une vingtaine de jeux on est devenu trop exigeant. Il y a aussi Dino Fantasia, jeu d’affrontement à deux annoncé pour enfants, mais dont le graphisme effectivement enfantin contraste avec une profondeur tactique assez poussée, certainement trop pour le public ciblé. Enfin, on tente dans un ultime passage chez Intrafin d’essayer Echoes of Time, un des jeux du salon, mais les tables affichent toutes complet, et comme il ne reste plus beaucoup de temps avant que le salon ferme, on se rabat sur Pigeon Explosion, du même éditeur, montrant par là qu’on est prêts à tout pour profiter, encore, jusqu’au bout, qu’il faudra certainement nous mettre dehors par la force.
Épilogue
J'ai partagé avec vous mon expérience de Essen. Très personnelle, il est vrai… mais comment faire autrement, alors que chacun vit Essen à sa façon, chacun en fait sa propre expérience. Pendant que certains préfèrent déambuler dans les allées, à la recherche du jeu, de la pépite, certains vont préférer tester le plus de jeux possibles, frôlant l’overdose, d’autres vont chercher les blockbusters, pour essayer les jeux dont on parle, avant tout le monde. L’important pour tous m’a semblé de s’imprégner de l’ambiance générale, de vivre pleinement cette effervescence collective autour du jeu.

La dernière photo de groupe
Un dernier restaurant, italien cette fois, avec cette belle bande de joueurs, et c’en est fini de Essen 2025. Demain, départ à 5h du matin de l’hôtel, pour prendre l’avion, les valises pleines. Je venais ici par curiosité, parce que j’entends parler de ce salon depuis que je suis passionné de jeux, parce qu’il me semblait être une sorte de passage obligé pour tout joueur qui se respecte. Je repars avec une seule envie, celle de revenir, afin de vivre de nouveau quatre jours coupés du monde, dans cette bulle ludique qui m’a fait un bien fou.






