Les jeux abstraits ont un avantage sur bien des jeux plus figuratifs (pour reprendre un vocabulaire plutôt artistique), ils sont moins sujets à polémique, alors même que bien souvent ils permettent les affrontements les plus sauvages....

Nippon - encore un jeu qui reçoit une "standing ovation" (des joueurs qui réfléchissent debout, pendant des heures, en tournant autour de la table)
Ainsi, on a rarement vu des joueurs de jeux de dames se plaindre du fait que l'adversaire manquait de respect à leur égard en sautant par dessus leurs pions
"-mais... c'est le jeu ?!?
- Ouais, bah, cela ne se fait pas !
- Euh... OK..., mais le jeu... Si on supprime cela... Il va un peu en pâtir... En terme d'intérêt.. Quand même !"
Je suis sûr que certains finiront peut-être par reprocher ou revendiquer aux échecs l'opposition Noir / Blanc (alors même que ces couleurs ont évolué à partir du rouge et blanc pour des raisons de lisibilité). ou le côté discriminatoire du fou ( qui vient en fait de l'éléphant en passant par le religieux !). Oui, la bêtise résiste assez mal à la lecture de Pastoureau !
Pour les jeux moins abstraits les choses sont plus complexes et, curieusement, ceux qui semblent y être les moins sensibles sont nos amis wargamers. Chez eux, les choses sont tranchées, le jeu est une simulation basée sur une situation et des conditions (historiques), il n'y a pas de jugement de valeur à jouer tel ou tel parti, et, on peut même s'en féliciter car cela permettrait de mieux connaître l'histoire.
Cette attitude peut aussi s'expliquer par les origine de ces jeux qui ont empruntés aux Kriegspiel et même peuvent même remonter à Plutarque expliquant qu'Alexandre le grand réfléchissait (irons-nous jusqu'à dire jouait?) avec ses amis pour se préparer aux batailles à venir ! Il était alors utile de jouer l'adversaire, mais si celui-ci nous déplait !
Ces wargamers ont parfois également, une chance étrangement paradoxale : quand tu simules la bataille de Koursk, LA bataille de tanks, tu n'as pas trop à te demander quel est le dirigeant qui est le plus fréquentable, car si tu as passé en plus un peu trop de temps à lire Hannah Arendt, tu sais même qu'ils procèdent du même mécanisme...
Néanmoins, on s'en est déjà fait l'écho ici, il ne faut pas non plus être trop naïfs et nous avions rappelés la polémique qui avaient entourés les petits pions marrons de Puerto Rico, et c'est pour cette raison que certains jeux prennent souvent le parti, à raison, de faire précéder leurs règles de quelques salutaires notices biographiques ou bibliographiques...
Néanmoins (bis), là encore nous ne devons pas être trop innocents, ces notices sont forcément partielles (il ne peut en être autrement), et le jeu lui même est soumis à deux contraintes encore plus réductrices pour la vérité :
- le choix du sujet répond aussi à des impératifs marketing (cf ce vieux billet sur l'anamorphose), ce qui fait qu'on ne traite pas forcément de tous les sujets ou du sujet dans son intégralité et qu'on peut "profiter" des oublis et angles-morts de l'histoire
- Il existe des impératifs liés aux mécanismes, ce qui fait qu'on va opposer des choses qui ne l'étaient pas toujours ou au contraire en rapprocher d'autres sans fondement...
Si on met ces deux aspects dans nos calculs on s'aperçoit alors que Louis XIV pourra servir pour tous les jeux de Cour alors que curieusement le ravage du Palatinat restera sous le tapis de l'histoire.
Ces bizarreries peuvent encore s'illustrer dans nos jeux de la soirée ! Dans Pillards de la Mer du Nord, nous jouons des pillards ce qui n'est pas somme toute, la profession la plus noble et la plus éthique (vous pouvez d'ailleurs chercher la fiche Onisep correspondante, elle n'existe pas !). Surtout que le pillage, à l'époque, était pratiquée avec une certaine sauvagerie comme en témoigne la figure du Berserker... Bref ce gentil jeu familial raconte l'histoire de pillages, de viols, de meurtres de massacres (et c'est un normand qui vous raconte cela)....
Si on regarde du côté de Nippon, on pourra être "reconnaissant" au Meiji d'avoir remplacé le 尊皇攘夷 / 尊王攘夷 « Révérer l'empereur, expulser les barbares », qui pourrait faire fantasmer quelques olibrius, par un 富国強兵 « Riche nation, forte armée » qui préfigure pourtant bien des drames ! Et si les plus optimistes verront cela comme un mouvement de décolonisation et de progrès il ne faut pas en cacher les côtés sombres comme des expéditions militaires en Asie et une mise au pas du pays, pas franchement démocratique !
Alors que faire ? Et bien souhaiter que les éditeurs ne se mettent jamais à défendre l'indéfendable ( ce qui serait d'ailleurs souvent condamnable) et que les joueurs profitent de ces jeux pour se documenter après la partie du jeudi et se faire leur opinion (ce que fait le modeste scribouillard que vous lisez, en faisant passer cela pour de la culture, l'escroc !).

Pillards de la mer du Nord - Il faut en être conscient (woke), c'est terrible quand les ports sont détruits... (shame)
Les jeux
- Clank ! Catacombes (Paul Dennen chez Origames
- Nippon (P. Soledade et N. Bizarro Sentieiro chez What's your game ?)
- Pillards de la Mer du Nord (Shem Philips chez Pixie Games)
- Luz (Taiki Shinzawa chez Iello)
Les joueurs
- AlainCM, Eric, Suzel et Vincent (Possom)
- Manu, Matthieu (Dondonge), Olivier et Noémie
- Cyril (Atom), Franck et Stéphane (Gnafron)